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On met les voiles
On met les voiles
Article publié dans le magazine « Rose Magazine » Printemps-Été 2021
Écrit par Méryll BOULANGEAT
Maîtriser le bateau sur lequel on est embarqué et garder son cap… A bien des égards, la pratique de la voile renvoie aux défis qu’affrontent les patientes. Tentée par ce sport de santé aux nombreux bienfaits iodés ? On vous dit comment filer sous le vent…
Passer trois jours sur un voilier, laisser à quai ses doutes, ses angoisses, ses questions, la fatigue, et prendre le large… Depuis 2015, Christine LESOIL-DUCHEMIN organise des séjours sport et santé à la voile pour des femmes ayant traversé la tempête du cancer du sein. Passionnée par le milieu marin, elle-même a surmonté la galère de la maladie grâce à la voile et à la nature. C’était il y a quelques années… Depuis, elle partage son amour pour l’eau à travers l’Association qu’elle a fondée, avec des forces vives et bénévoles, mais avant tout professionnelles. « Entre Ciel & Mer, c’est un triptyque, explique Christine, formé d’un coach certifié (le plus souvent elle-même), d’un patient expert et d’un skipper. » Elle bénéficie aussi du soutien de partenaires tels que l’UCPA, la FFV (Fédération Française de Voile) et certains instituts de cancérologie (notamment l’Institut de Cancérologie de Montpellier).
Pour la grande majorité des participantes qu’elle a accompagnées (près d’une centaine aujourd’hui), sur l’Océan Atlantique ou en Méditerranée, l’aventure au large est une première. Murielle se souvient : « En montant sur la passerelle menant au pont, j’avais peur de tomber à l’eau. Je me suis vite assise et j’ai attrapé un gilet de sauvetage alors que nous étions à quai ! » Cette appréhension est souvent fugace. « En quittant la terre, on devient un marin« , assure Isabelle CONRAD, l’un des skippers d’Entre Ciel & Mer, et monitrice de voile de croisière aguerrie. « Il y a quelque chose de magique. Rares sont les personnes qui ne ressentent pas cette sensation. » A chaque séjour, la permission d’embarquer n’est accordée qu’à quatre femmes ayant terminé leur traitement. « On ne se connaît pas, mais on se reconnaît : nous étions dans le même bateau avant de monter sur le voilier« , confie Murielle.
LE GOÛT DE L’AUTONOMIE
Avant de hisser les voiles, il faut d’abord arrêter ensemble la liste de courses pour s’avitailler. Souvent, la maladie a changé le regard des patientes sur l’alimentation. C’est donc un sujet sérieux, qui donne lieu au tout premier moment d’échange entre les participantes. Dialogue qui se poursuit naturellement dans les rayons du supermarché ou entre les étals des marchés locaux, et qui permet d’en apprendre encore un peu plus sur les unes et les autres. Une fois le petit frigo du carré du bateau bien rempli, ou largue les amarres. Mais pas question pour les « moussaillons » d’être spectatrices. L’une d’entre elles est appelée à la barre pour sortir le bateau de la rade. Concentrée comme jamais sur les indications que lui donnait Isabelle, Murielle se souvient d’avoir manoeuvré entre de gros bateaux ou mouillage et d’imposants rochers gardant la sortie du port. Un premier grand moment fait de crainte et d’excitation, dont elle sourit encore : « Je l’ai fait ! »
Durant les trois jours de voyage, toutes les filles se relaient à la barre. S’en emparer, c’est d’un coup reprendre confiance en soi. Et retrouver le goût de l ‘autonomie. Une sensation unique après des mois passés sous la contrainte des traitements. « Au milieu de la mer, tu peux aller partout. Choisir une direction, c’est renoncer aux autres, mais c’est aussi agir, s’affirmer« , explique Murielle. « Je partais, je guidais, c’est moi qui décidais, précise Fanny. Cette image, je la garde, elle m’aide au quotidien. » Elisabeth ajoute : « Voir juste l’horizon et la mer devant soi, émotionnellement c’est très fort. Je me suis dit : « Je suis en vie et je veux vivre ! » « A 98%, ce qui se passe sur le bateau ce sont les filles qui le font, commente Isabelle. Je donne des conseils et n’interviens que pour les manoeuvres techniques. Quand elles commencent à comprendre que ce sont seulement elles et le vent qui font avancer le voilier, elles sont fières. » Naviguer est aussi idéal pour se remettre en selle physiquement sans vraiment y penser. Mine de rien, tenir sur un bateau qui navigue toute la journée est en soi un vrai exercice de proprioception ! Mais, finalement, tout y est un peu sportif : hisser et border les voiles, manier les manivelles… « Les efforts sont partagés, souligne-t-elle encore. Celles qui le sentent peuvent en faire plus, et les autres se reposer sur le pont. C’est très facile de s’adapter aux capacités du moment de chacune. »
Celles qui se trouvent en difficulté à cause d’un lymphoedème au bras, ou d’une articulation raidie par une opération, ralentissent le mouvement ou s’appuient sur les autres. L’homme seul ne pourra mettre le bateau à la mer, dit justement un proverbe swahili… « J’ai appris à demander de l’aide, se réjouit Murielle. C’était assez nouveau pour moi ! »
Confinée sur cette maison flottante de onze mètres de long, chaque équipière trouve peu à peu sa place. La cuisine est l’affaire de toutes. On se partage les tâches et les corvées d’épluchage, de vaisselle… Si les rencontres sont fortes, elles sont aussi, souvent, éphémères. On le sait, et c’est ce qui les rend plus belles encore. Dans la promiscuité des cabines, on apprend à cohabiter et à partager une intimité où les cicatrices, la trace de l’ablation d’un sein ou des deux, n’ont rien d’exceptionnel. Le cancer ? On n’en parle presque pas. Pas par pudeur, mais parce qu’ici on a envie d’oublier le vilain « crabe », d’aller de l’avant, de profiter. D’être soi, tout simplement. « Pas besoin de faire attention à ce que l’on dit de peur d’inquiéter ou d’être jugée. Nous nous comprenons sans avoir à nous expliquer. Ça libère« , détaille Fanny.
TOUS LES SENS SONT EN ÉMOI
Embarquer sur le voilier d’Entre Ciel & Mer est aussi l’occasion de profiter d’un coaching personnalisé. Christine évoque son travail en filant la métaphore nautique : « On largue les amarres, on se fixe un cap, et enfin on reprend la barre de sa vie. » Chacune de ces trois étapes est consolidée par différents exercices qui jalonnent le séjour. Alors que le voilier tangue au gré d’une houle légère, tout l’équipage est rassemblé dans le carré pour un de ces exercices. Murielle commence par lire à haute voix une lettre qu’elle n’avait jamais lue à personne. Une autre sort un livre et explique en quoi il l’a particulièrement touchée. C’était la consigne, venir avec un objet, un rêve secret ou même une idée folle qui dit quelque chose de soi. Une autre confie alors son envie de se jeter à l’eau, et une autre encore son désir de hisser la voile en écoutant à fond la chanson « Ose » de Yannick Noah. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Les jours passent vite et les soirées aussi. Une fois les soucis jetés à la mer, on oublie, on s’oublie et, devinez quoi : on se gondole !
Encore et encore. La nuit (toujours passée à l’abri d’un havre protégé) est déjà bien avancée quand tout le monde rejoint sa cabine. Le temps de poser la tête sur l’oreiller, et le sommeil arrive. Le matin, c’est chacune à son rythme. Le séjour alterne subtilement des moments collectifs et des moments rien qu’à soi. Il y a les balades en solitaire à terre. Et, en groupe, les séances de qi gong énergisantes, de respiration, de briefing avant de naviguer vers les îles de Port-Cros et de Porquerolles, en Méditerranée, ou Belle-Île-en-mer et l’île de Groix, pour les séjours en Bretagne.
Lors de leur tête-à-tête avec Christine, les filles osent dire leur envie d’avenir, et en dessiner le chemin. Où, comment, et avec qui ? Les réponses s’inscrivent sur fond de ciel bleu avec l’infini pour seul horizon. Le vent caresse les visages, le soleil dore la peau, la brise iodée laisse un goût de sel sur les lèvres. En mer, tous les sens sont en émoi. On se reconnecte à son corps, à la nature. On scrute l’horizon avec le secret espoir d’y croiser un dauphin. Parfois, l’étendue bleue se grise et les vagues font le gros dos. Alors, il faut apprendre à faire face. Composer avec les vents contraires et garder sa route en évitant de se laisser gagner par le mal de mer. Fanny a trouvé le remède en prenant la barre : « En me concentrant sur autre chose, le malaise est passé. » Après trois jours à tirer des bords, le retour sur la terre ferme se fait d’un pied plus sûr, et en sourires resplendissants. C’est la récompense de Christine, qui a l’ambition d’aller encore plus loin : « Nous travaillons avec des instituts de cancérologie pour que la voile et le coaching personnalisé soient reconnus comme des soins de support, notamment par les mutuelles, et que plus de femmes puissent en bénéficier. C’est notre prochain objectif. » Pour beaucoup de femmes, cette parenthèse sous le vent aura été un déclic. L’occasion de définir un nouveau cap dans leur vie. Ne leur reste plus qu’à le suivre.
Le voyage de trois jours est presque entièrement financé par l’association Entre Ciel & Mer et ses partenaires. La quote-part restant à régler par chaque participante est de 150 euros.
Inscriptions et informations : www.entrecieletmer-asso.com
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